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Chaque jour est un adieu de Alain REMOND – Juste lire, par Agnès

Chaque jour est un adieu de Alain REMOND

Résumé éditeur

« Je sursaute à cette seule idée : d’autres gens y habitent, dans notre maison. Et ça reste complètement insupportable. Combien de temps a-t-elle été à nous ? J’avais six ans quand on s’y est installés. J’en avais vingt-cinq à la mort de ma mère, quand elle a été vendue. Pourtant, je n’arriverai jamais à en parler autrement que de notre maison. On y a été tellement heureux et parfois, aussi, si totalement désespérés, nous tous, les dix enfants. Et nos parents. J’habite loin de Trans, maintenant, depuis longtemps, mais il m’arrive de repasser devant la maison, en tremblant. Et c’est comme si je me brûlais, en approchant de la fenêtre. Parce qu’en même temps que ce bonheur, il y a eu trop de malheur. »

Biographie
Alain Rémond est un chroniqueur français, né en 1946 à Mortain (Manche).
Alain Rémond naît dans une famille bretonne de dix enfants. Cette enfance difficile lui inspirera par la suite une série de romans autobiographiques.
Après des études de philosophie, il devient professeur d’audiovisuel, puis critique de cinéma.
Alain Remond entre en 1973 comme journaliste à Télérama. Rédacteur en chef adjoint à Paris-Hebdo en 1979, il rejoint Les Nouvelles Littéraires en 1980. C’est à lui que l’on doit la création, en 1981, de la rubrique « Mon Œil » de Télérama, dont il deviendra rédacteur en chef jusqu’en 2002.
Alain Rémond a par ailleurs participé pendant six ans à l’émission Arrêt sur images, diffusée sur France 5.
Actuellement, il rédige toutes les semaines une chronique dans Marianne et un billet chaque jour dans La Croix.

★★★★★ Que du bonheur !

Critique

Alain Rémond, ancien chroniqueur et rédacteur en chef de la rubrique « Mon œil » dans Télérama se souvient et écrit dans ce tout petit livre autobiographique le temps révolu de son enfance. Un de plus, me direz-vous, et je suis d’accord.
Mais la nostalgie est un terreau fertile pour tout un chacun, et en parler (ici écrire) refait vivre ce qui n’est plus, et que nous regrettons tant, quand nous nous rendons compte que nous ne l’avons peut-être pas apprécié à sa juste valeur.
Le livre démarre avec les souvenirs de l’auteur ancrés dans la maison dans laquelle il a vécu avec ses neuf frères et soeurs et leurs parents. Il faudrait la vendre ; l’idée en elle – même lui est tout simplement insupportable, impossible. Et c’est de cette douleur que surgit la mémoire, que fait face la nostalgie.
Mais déjà avant cette maison, il y en avait eu une autre, celle de Mortain, qui se trouva en 1944 au coeur de batailles terribles ( la bataille de Normandie ) entre alliés et allemands les obligeant à fuir et nourrissant ainsi la légende familiale pour ceux qui n’ étaient pas encore nés (dont l’auteur).

Les récits sur la guerre que les plus jeunes réclament aux aînés se succèdent. « C’est devenu, entre nous une véritable obsession, comme si tout venait de là, ce qui nous unissait, nous, la famille.  »
La chronique de cette « famille nombreuse, bretonne, catholique » s’écrira ensuite à Trans, à partir de 1952, dans une nouvelle demeure (même si le mot « demeure » est fort au regard du bâtiment ), bref, leur « royaume ».
Pas très loin du Mont Saint Michel.
Et là, on se dit qu’on est vraiment des guignols…. dans nos maisons modernes à la jolie déco, car ce que décrit l’auteur c’est l’habitation sans eau courante, sans chauffage, sans WC (forcément puisque sans eau), sans intimité, avec des détails qu’on n’a jamais lus, même chez Zola, comme les extrémités corporelles glacées au réveil du matin qu’il fallait tremper dans l’eau chaude pour éviter le pire.
Le paradoxe, c’est que ces mômes débordaient de joie de vivre et que leurs jeux étaient dune inventivité incroyable.

 » On a passé là, dans la cour, des milliards d’heures de pur bonheur. Ma mère, en venant donner à manger aux poules et aux lapins, venait voir à quoi on jouait, on lui faisait visiter, elle nous donnait des idées ».
Dur dur quand on songe aux enfants d’aujourd’hui !!
Et aux parents stressés que nous sommes PARFOIS.
Et puis, la nature et ses risques encourus étaient bien différents aussi.
Une troupe de frères et sœurs pouvait joyeusement parcourir des kilomètres pour aller jouer au coeur de la forêt, au bord du lac, le cœur nourri par des tonnes de lectures diverses et variées, pendant des heures, sans danger.
Grâce à l’absence du tube cathodique, même dans une famille humble comme celle-ci, on lisait et pouvait ainsi parcourir les alentours comme les aventuriers à la recherche de la Toison d’or.
Et puis, il y avait la vie au bourg, qui en ces temps-là, se répartissait entre partisans républicains ou religieux. Les Rouges contre les Blancs, même si les pouvoirs parvenaient quand même à s’équilibrer.
Toutes ces anecdotes du temps passé qu’on ne retrouvera plus sont épatantes pour les gens, comme moi, qui n’ont pas connu ce mode de vie du milieu du siècle dernier, dans nos campagnes.
Enfin, même si les douleurs les plus profondes sont souvent les moins dites, Alain Rémond nous avoue, presque du bout des lèvres que derrière ce bonheur gentiment vécu, délicatement décrit, se cache sa grande souffrance, « l’enfer du paradis terrestre ». Une douleur qui ronge de l’intérieur et ne laissera personne dans cette tribu indemne.

Mais certains plus que d’autres.
Je me retiens de dévoiler ce qui, dans l’histoire familiale des Rémond a (et continue) probablement de ronger le petit Alain devenu grand, et probablement le reste de la fratrie.
Les parents ne mesurent jamais quelles conséquences peuvent engendrer certains de leurs comportements, carences comme excès, même si tout cela ne s’adresse pas directement aux enfants.
Certains spectacles devraient être évités. Et l’on saisit alors cette bulle de bonheur tissée psychiquement par ces enfants. Pour survivre.
Que la vie est douloureuse quand on est prisonnier d’une histoire qui toute notre existence nous a dépassé et nous ronge.
Que peuvent les mots d’un enfant devenu journaliste face à ÇA ?
Comment la douceur du récit et les caresses de la nostalgie heureuse peuvent – elles ôter le poids de ce bloc de silence qui écrase la poitrine ?
Et si la résilience se trouvait simplement dans les lectures partagées au sein de cette famille si singulière que ça ?
Lisez … et vous jugerez pas vous – même.
« On n’a jamais fait de réveillon, jamais. Notre luxe, c’est ce bol de chocolat chaud et ces biscottes. Et la découverte des cadeaux : un ou deux livres, choisis et achetés par notre mère pour chacun d’entre nous. »
Puis, ensuite, (et on l’espérait presque), apparaît la fracture sociale ressentie, souhaitée, revendiquée par l’adolescent et elle nous rapproche des écrits d’Annie Ernaux (une voisine littéraire et géographique !), même si le ton employé pour le dire diffère.

Être au milieu des Autres, ça ressemble parfois « à de l’ethnologie » !
Peut – on guérir de tout ? Et comment ? du trop et du manque d’amour.
En lisant des poèmes d’Émilie Dickinson. En militant. En se goinfrant de culture….
Ce livre c’est le récit intimiste du parcours à faire quand notre enfance a été marquée et que ce sont les murs d’une maison qui parlent à ses enfants.
Voici là, selon moi, un court ouvrage FORMIDABLE, tellement dense et profond qu’il nous réaffirme qu’on ne dit pas adieu à son enfance, on vit avec elle, chaque jour du reste de notre vie.
Un régal. …..

 

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