Résumé éditeur
Partie de l’expérience du trop et du trop-plein, Nicole Fabre nous mène dans un passionnant cheminement, jalonné des récits de ses patients et de son expérience de clinicienne. Elle nous conduit à un questionnement existentiel, une quête menée par chacun de nous. Et nous aide à penser ce manque fondamental que nous cherchons toujours à combler.
★★★★☆ Lecture agréable, fort plaisante
Critique
Ce texte écrit à la première personne démarre par la description des ressentis d’un quidam qui, une fois à l’intérieur d’un temple de la consommation, se laisse happer, non sans culpabilité pour s’emplir en y consommant en excès. Quelque chose a surgi du plus profond de lui pour expliquer ce fait, quelque chose qui n’a rien à voir avec l’hyper stimulation du marketing.
Par quel sorte d’envoûtement alors les choses auraient-elles tourné au désavantage d’un consommateur qui se pensait pourtant modéré et vigilant ?
Le responsable ne serait rien d’autre que cette terrible peur du manque ; celle qui donne son titre à ce petit ouvrage publié dans la collection « Psy pour tous » et que j’ai eu le plaisir de recevoir dans le cadre d’une masse critique.
Merci donc aux Editions In Press, car moi aussi j’ai bien souvent eu peur de manquer.
La sublime Annie Ernaux est » invitée » à apporter ses lumières au propos de l’auteure en l’enrichissant d’un point de vue sociétal, et très vite, Nicole Fabre, psychanalyste, psychothérapeute ….. nous explique ce qui fait le lit de ces ridicules amoncellements d’objets, ces besoins de comblement, cette détestation du silence, de la solitude, cette terreur de toute séparation, de vide dans les relations. … qui s’illustre parfois dans les troubles de la consommation, mais pas uniquement.
La grande responsable ? ….. ce serait l’angoisse du vide, cette sorte de conscience du manque emprunter d’un désir de vie à la fois que viendrait combler ce sentiment délicieux qu’est le plaisir de posséder.
Là, ça commence à me parler, des textes spirituels contemporains m’ont déjà interpellée sur cette question.
Sauf que quand on lit une psychanalyste, sa réflexion, son analyse remontent bien évidemment d’abord en arrière.
Qui dit psy dit séparation, enfance (eh oui c’est difficilement contournable) et donc perte qui nous habiterait depuis notre naissance.
Il faudrait donc (premier conseil) apprendre à reconnaître cette séparation du début de vie, et le manque qui en résulte, pour en accepter intrinsèquement la blessure (deuxième conseil) qui en découle.
C’est le cas de le dire, car pour certains ou certaines ça peut saigner plus que d’autres !
Ah ! chère psychanalyse, tu nous donnes toujours une lecture quelque peu déroutante et délicatement douloureuse, parce qu’on a souvent appris à ne pas se retourner sur soi.
Pourtant, on ne peut que te féliciter de poursuivre ta reflexion pour donner du sens aux troubles de nos vies modernes, et ici à l’angoisse du vide.
« Combien la conscience du manque est révélatrice d’une force dynamique, celle du désir. Mais combien la puissance de l’angoisse du manque, la peur de manquer, risque d’entraver et d’étouffer la source même du désir. ‘ »
N.Fabre cite André Comte-Sponville, car la philosophie nous aide elle aussi à éclairer nos pauvres existences de Sapiens devenus » modernes ».
C’est dans ce temps du traumatisme de la naissance, premier manque fondamental, suscitant parfois des névroses dans cet état de manque non accepté, non résolu et que se créeraient nos peurs de manquer ultérieures.
Ah, on ne regardera plus, de la même manière, à l’issue de cette instructive lecture, nos sucreries de fin soirée en solo, nos emplois du temps surchargés par nos soins, bref notre « activisme » qui nous évite de sentir tout ce qui nous fait mal.
Tout au long des dix chapitres, des invités prestigieux nous éclairent de leurs travaux ou de leur littérature : Cyrulnik, Bettelheim, Camus, Winnicott, Bachelard, Sartre…etc…. Que du beau monde et j’en passe !
On s’interroge aussi dans ce livre sur le poids de l’éducation dans notre (in)capacité à supporter le silence, la solitude. Les bébés – rois devenus adultes seraient dans l’impossibilité de se satisfaire de ce qu’ils possèdent. Les jeunes mamans feraient donc bien de lire le chapitre « L’ ours, la sucette et la tablette » pour comprendre ce que signifie ce » socle solide de la présence » qui a fait tant défaut à bon nombre d’entre nous une fois devenus adultes.
Et puis, il y a la lutte contre l’anéantissement avec la collectionnite aiguë du » ça peut toujours servir « qui justifie accumulation et chaos. Ceux-ci répondraient à une expérience de manque à un moment de la vie, douleur qui peut se reporter de génération en génération. Tiens, tiens !
Temps passé – temps perdu. La mort, la crainte de l’avenir font aussi écho hélas à ces sentiments de vide. Pour avancer il faut quitter, s’alléger.
« Mais quitter c’est se séparer, c’est – du moins en apparence – perdre. »
Et quand on a aussi peur de manquer de ce qui nous manquera un jour ? Nostalgie, souvenirs… comment trouver la paix dans le chant du temps perdu parce que apparemment manqué ?
Au-delà des explications psychanalysantes données (transfert, travail analytique) , c’est donc aussi un livre sur le sens de la vie, le désenchantement du monde moderne.
Le début du chapitre 9 sur Descartes n’est pas facile à lire, mais quand le lien entre création artistique et la peur du vide apparaît, je pardonne cette digression très philosophique.
Parti donc de l’expérience du trop-plein jusqu’à l’écoeurement, ce petit ouvrage est au final une jolie éloge du vide qui m’a beaucoup apporté.
Malgré le niveau de lecture un peu élevé, je me suis régalée dans la promenade offerte par Nicole Fabre.
C’est un livre très utile et intelligent !