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L’ART DE PERDRE DE ALICE ZENITER – Juste lire, par Agnès

L’ART DE PERDRE DE ALICE ZENITER

Résumé éditeur :

L’Algérie dont est originaire sa famille n’a longtemps été pour Naïma qu’une toile de fond sans grand intérêt. Pourtant, dans une société française traversée par les questions identitaires, tout semble vouloir la renvoyer à ses origines. Mais quel lien pourrait-elle avoir avec une histoire familiale qui jamais ne lui a été racontée ?

Son grand-père Ali, un montagnard kabyle, est mort avant qu’elle ait pu lui demander pourquoi l’Histoire avait fait de lui un « harki ». Yema, sa grand-mère, pourrait peut-être répondre mais pas dans une langue que Naïma comprenne. Quant à Hamid, son père, arrivé en France à l’été 1962 dans les camps de transit hâtivement mis en place, il ne parle plus de l’Algérie de son enfance. Comment faire ressurgir un pays du silence ?

Dans une fresque romanesque puissante et audacieuse, Alice Zeniter raconte le destin, entre la France et l’Algérie, des générations successives d’une famille prisonnière d’un passé tenace. Mais ce livre est aussi un grand roman sur la liberté d’être soi, au-delà des héritages et des injonctions intimes ou sociales.

★★★★★ Que du bonheur !

Critique :

« Quand on est réduit à chercher sur Wikipédia des renseignements sur le pays dont on est censée être originaire, c’est sûrement qu’il y a un problème ».

« L’art de perdre » est un roman sur la deuxième génération de harkis et des fragments de tristesse et de colère qui courent dans leurs veines depuis 1962.
Histoire d’un pays perdu qui revient silencieusement hanter ceux qui pensent être en train de l’oublier mais qui repeignent sans cesse leur nouvelle vie aux couleurs de la nostalgie.

Voici un récit romancé pour faire contrepoids à l’histoire officielle et mettre à jour son Histoire plurielle, CELLE que les livres des français ont avalé, CELLE que le FLN a fait disparaitre.

 » Rien n’est sûr tant qu’on est vivant, tout peut encore se jouer, mais une fois qu’on est mort, le récit est figé et c’est celui qui a tué qui décide. Ceux que le FLN a tués sont des traitres à la nation algérienne et ceux que l’armée a tués des traîtres à la France. Ce qu’a été leur vie ne compte pas : c’est la mort qui détermine tout.  »
Durant certaines batailles de la seconde guerre mondiale, les hommes des colonies avaient été envoyés en première ligne et on le leur fera payer durement ensuite lors de la décolonisation.

Dans cette réhabilitation romancée d’une partie de leur histoire, pour ces familles, on découvre de quelles manières l’Algérie a toujours été là quelque part, et partout à la fois, à travers une somme de composantes : peau brune , cheveux noirs , dimanches chez les grands-parents qui ne parlent toujours pas français, des prénoms, … une Algérie qu’on porte sur son visage, etc, les marqueurs d’une immigration indélébile.

Ali raconte comment il a fait le choix d’être  » protégé d’assassins qu’il déteste par d’autres assassins qu’il déteste. »
Où l’on découvre que l’histoire de France marche toujours au côté de son armée. Qu’elles vont ensemble, et que certains en ont payé le prix fort. Notamment les harkis.
Sécurité, stabilité et démocratie allaient-elles vraiment être leurs mots d’ordre comme ils le pensaient ?

Puis c’est l’histoire qui s’est poursuivie dans des camps. En France, à leur arrivée. Cette histoire-là ne sera jamais chantée, parce qu’elle se déroule  » dans un carré de toile et de barbelés. »

Quand Naïma, la deuxième génération questionnera pour comprendre ce qu’il y avait sous les bâches, elle découvrira …une perte de mémoire, un amour déraciné sans failles, du racisme, une étiquette de français de seconde zone au rabais et j’en passe.

J’ai donc eu un énorme coup de foudre pour ce grand roman qui narre le chemin de vie d’une famille de harkis sur trois générations. En s’inspirant de l’histoire de son grand-père paternel, c’est l’honneur de ces bannis d’Algérie mal reçus en France et crachés par l’Algérie qu’Alice Zenati raconte à travers cette intelligente et renseignée saga familiale fictive.

Tout autant récit de vies qu’analyse sociétale des souffrances endurées et des non-dits, son texte magnifiquement écrit libère la parole de ceux qui se taisent depuis plus de cinquante ans. Ce roman rédigé avec une grande délicatesse et intelligence se lit d’une traite (ou presque) et se révèle comme un hymne à la liberté et à la dignité retrouvées.

Sa puissance littéraire lui permet de remettre quelques pendules à l’heure, côté Algérie comme côté Français. Je pensais connaître le sujet, avais visionné des documentaires sur la question… que nenni ! Révélation sur révélation « L’art de perdre » est avant tout un documentaire nourri de matériau historique et sociologiques (voir psychologique) pour ceux qui pensaient à tort avoir compris l’affaire.

« Li fat mer le passé est mort. »
Non pas vraiment.
Bien au contraire.
Douleurs, rancunes, trahisons… tout est là dans ce livre passionnant, foisonnant et inoubliable. Il rassemble les chaînons manquants d’une histoire tragique.

Courrez vers ce magnifique roman à la fois dur et nostalgique qui reconstitue les parties manquantes d’une histoire tragique franco-algérienne et qui doit aussi nous interpeler sur les questions d’immigration et d’identité de la France d’hier à aujourd’hui.

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