L’amie prodigieuse, tome 4 : L’enfant perdue de Elena FERRANTE

Résumé

À la fin de Celle qui fuit et celle qui reste, Lila montait son entreprise d’informatique avec Enzo, et Elena réalisait enfin son rêve : aimer Nino et être aimée de lui, quitte à abandonner son mari et à mettre en danger sa carrière d’écrivain. Car elle s’affirme comme une auteure importante et l’écriture l’occupe de plus en plus, au détriment de l’éducation de ses deux filles, Dede et Elsa.

L’histoire d’Elena et de Nino est passionnelle, et bientôt Elena vit au gré de ses escapades pour retrouver son amant. Lors d’une visite à Naples, elle apprend que Lila cherche à la voir à tout prix.

Après avoir embrassé soixante ans d’histoire des deux femmes, de Naples et de toute l’Italie, la saga se conclut en apothéose. Plus que jamais, dans L’enfant perdue, Elena Ferrante nous livre un monde complet, riche et bouillon-nant, à la façon des grands romanciers du XIXe siècle, un monde qu’on n’oublie pas.

★★★★★ Que du bonheur !

Critique

Et voilà, c’est fini.
2093 pages de pur plaisir littéraire.
4 tomes d’une série incroyable, où le cœur des femmes, la vie d’un pays à travers ses violences socio-politiques ont été fouillés très intimement pour en tirer la substantifique moelle.

Mais ce qui fait la colonne vertébrale de ce texte, seule une ville située entre Vésuve, entre chaos et espoirs de modernité pouvait en tenir le rôle. Naples, à la fois dangereuse et humaine plonge lecteurs, personnages et auteure dans la question d’une vie : une ville-pieuvre peut-elle happer ses habitants, malgré leur désir d’envol ?

Comme si on n’avait jamais quitté Elena et Lila, ce quatrième opus nous plonge donc toujours et encore plus au cœur du déterminisme social, et avec lui l’éternelle question de savoir si on peut s’extraire vraiment du milieu qui nous a vu naître et grandir.

Et puis, flotte toujours cette relation compliquée entre les deux amies qu’Elena Ferrante explore remarquablement en donnant la plume à la brillante Elena. Mais cette compliquée relation ne l’est-elle pas tout simplement parce que Naples gâche tout ?

Ce texte met en exergue « la nature à la fois splendide et ténébreuse » de cette amitié, ainsi que la douleur intense et compliquée de Lila depuis toujours, et pour toujours.
« La touche que je préfère », dira-t-elle à propos du clavier de son ordinateur, « c’est celle qui sert à effacer. »
Mais on ne peut pas effacer « le monde d’en bas ».
« Ma vie se réduirait à une bataille mesquine pour changer de classe sociale ? » lui lance à la figure Elena, un jour de querelle.

Ainsi, je ne me suis jamais ennuyée dans ces 560 pages que j’ai dévorées. Certaines, d’une telle force, m’ont même ôtée le sommeil (un évènement majeur survient dans ce dernier tome). Jamais, une auteure ne m’aurait fait cet effet. L’analyse par l’entremise d’Elena, des sentiments, des événements tant privés que collectifs s’est révélé pour moi géniaux. Le récit ne bégaye pas, il insiste seulement sur certains points chers à l’auteure. J’ai accepté ce fait.

A travers une image récurrente de la ville tentaculaire, qui symboliquement détruit malgré les liens amicaux, familiaux, Elena Ferrante nous a offert une œuvre à la fois sociale et féministe dont je comprends enfin l’étendu du succès mondial reçu. Finesse des portraits (principaux ou pas), réalisme brutal, narration fluide, tout est habilement construit, ici encore, comme dans les trois premiers volumes. Pas de temps mort.

Elena se raconte, Elena livre sa vision des évènements, et le recueil d’informations glanées ça et là. Elena (au même nom que l’auteur) remet à sa juste place cette longue intrigue, dans une impressionnante maitrise des fils dramatiques, dans un sens évident de la narration.

Ce long roman très dense en réflexions, plus encore qu’une enquête sur Naples établit une radiographie sociologique à dimension humaine que je ne suis pas prête d’oublier. Il m’a questionnée sans cesse, et c’était délicieux que de sentir son esprit titillé ainsi par des interrogations comme…
Peut-on se déstructurer quand on est femme, pour se recomposer ?
La trame d’aujourd’hui n’est-elle que la suite du rouleur compresseur d’hier ?
Quelle part pour l’inné ? pour l’acquis ?
Toute relation était-elle invariablement douloureuse parce que vivante ?
Toute blessure a-t-elle forcément des points de suture ?
Lila est-elle méchante ou lucide ? Ses souffrances excusent-elles son caractère ? Son « cerveau virevoltant » est-il la conséquence d’une adaptabilité aux dangers inhérents à sa classe sociale ?
– Etc…

Dans cette collision permanente entre passé et présent, on peut lire aussi la dénonciation des compromis des partis politiques et la violence de l’Etat sur son peuple. Et je me demande tout simplement si L’amie prodigieuse, Le nouveau nom, Celle qui fuit et celle qui reste, L’enfant perdue ne nous disent pas avant tout que « Tout rapport entre des êtres humains est truffé de pièges et, si on veut qu’il dure, il faut apprendre à les esquiver. »

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