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La fontaine obscure de RAYMOND JEAN – Juste lire, par Agnès

La fontaine obscure de RAYMOND JEAN

Résumé

Ce livre est un roman. Mais il relate une histoire vraie : celle qui aboutit en 1611, à Aix-en-Provence, au grand procès de sorcellerie de l’abbé Louis Gaufridy et de Madeleine de Demandolx de la Palud, et à la mort du premier sur le bûcher. Les documents, les dossiers existent. Ils ont été retrouvés, comme ont été parcourus les lieux des événements, de Marseille à la Sainte-Baume. On n’en sera que plus étonné de constater le côté présent, très contemporain de cette histoire, les gouffres qu’elle dévoile en un siècle supposé de raison, l’extraordinaire suspense narratif qui ne cesse de la porter.
C’est que probablement l’amour et le sexe, leurs lumières et leurs ombres, sont de tous les temps. Mais que la sorcellerie est très proche du nôtre : avec tout ce qu’elle révèle sur la condition féminine, sur la psychanalyse dans notre vie, sur le système pénitentiaire de l’inquisition. Il fallait raconter cette « affaire n. En dire la vérité et la modernité. En reconstituer une à une les étapes et les images, au long d’un itinéraire fascinant.
En écrivant ce livre, Raymond Jean a retrouvé les préoccupations qui le portaient vers l’affaire Gabrielle Russier (Pour Gabrielle, 1973), aussi bien que le travail, descriptif et critique, de romans comme La Ligne 12 et La Femme attentive.

★★★★☆ Lecture agréable, fort plaisante.

Critique

Raymond Jean donne bien peu d’informations en quatrième de couverture de son roman.
S’agit-il d’une histoire d’amour ? Ou d’un roman historique ? Ou de toute autre chose ?
J’ai avancé à petits pas incertains vers La fontaine obscure pour le savoir.

C’est dans les alentours d’Aix puis de Marseille que débute ce récit qui s’inspire de faits réels, et qui prend appui sur les textes, les témoignages, les jugements de l’époque. Au début du seizième siècle, un procès retentissant s’est en effet organisé pour juger un abbé pourtant fort populaire, l’abbé Louis Gaufridy. A l’origine de ce procès, Sébastien Michaëlis « le grand inquisiteur de la foi en Avignon ». Mais il n’y eut pas que lui côté « accusateurs », car les temps étaient rudes question tolérance, il y eut également des notables, des gens du clergé, et bien sûr des gens du peuple.
Comment en est-on arrivé là ? Et que s’est-il réellement passé ? C’est ce qui constitue la trame de ce texte.
Au détour du récit étayé à la fois des dépositions de l’époque et des commentaires de l’auteur devenu à son tour enquêteur, on y retrouve le nom de Freud, Sigmund de son prénom. Celui-ci, quelques siècles plus tard, exposera ce cas dans son ouvrage « Une névrose démoniaque au XVIIème siècle », pour dire dans quelle mesure cet évènement fut intéressant pour nombre de spécialistes. Qu’ils soient théologiens, historiens, médecins ou psy.

A l’époque, on parlait alors d’envoutement, de sortilège, de « délires démoniaques ». Oui le mot est lâché, LE DEMON, le diable avait été alors reconnu comme LE grand, l’unique responsable dans cette affaire, coupable de ce qu’on croyait avoir vu, de ce qu’on avait entendu dire, et bien plus encore.

Voici donc un livre passionnant par sa morale ubuesque de l’époque, un roman mi-historique mi-policier qui se révèle d’abord comme un document fort avec ses scènes dignes de Fellini, mais aussi un bel ouvrage parfois pas facile à suivre, en raison de son style un peu alambiqué qui avait cours alors en littérature (années soixante-dix).
Je me suis accrochée pour connaître l’issue de cette terrible affaire, et ne l’ai pas regretté, car j’ai pensé que
La fontaine obscure est un roman de tous les temps, tant il montre parfaitement comment la bêtise humaine, véritable sous-bassement de la jalousie, conduit à transformer des situations sans ambiguïté en catastrophe régionale, voire nationale.
Des affabulations aux mensonges, on comprend vite que ce cas ne fut pas singulier, puisqu’à l’époque « les mœurs de Louis Gaufridy étaient en fait celles de nombreux ecclésiastiques de son époque et qu’il est peu probable qu’il ait ressenti sa propre conduite comme particulièrement provocante ».

Il s’agissait donc vraisemblablement de diriger contre le beau Louis toute la haine qu’inspirait le libertinage, cette liberté incompatible entre les choses du (haut) clergé, des couvents (Madeleine était chez les Ursulines) avec les choses du sexe.

Toutes les séances d’expulsion du Démon de cette « machinerie infernale » sont largement décrites, puisque consignées dans les écrits, tous conservés ( lire aussi  Un grand procès de sorcellerie au XVIIème siècle de : l’abbé Gaufridy et Madeleine de Demandolx  de J.Lorédan). De la ceinture de crin « qui ne la quittait jamais », à l’habit de toile cru « écorchant à même ses flancs aux endroits les plus sensibles pour que la douleur parvienne à débusquer le malin », aux agissements sournois du Grand Inquisiteur de l’ordre de Saint-Dominique, c’est toute la méthode anti-hérésie en vigueur en ces temps obscures qui nous est racontée. L’Ordre des Frères dominicains devenu le principal bras armé du pape avait ainsi créé en 1233 l’Inquisition. Les Cathares furent d’ailleurs les premiers à en faire les « frais ». Mais je m’égare…

L’histoire vraie de Louis et de Madeleine oscille ainsi sous fond d’angoisse religieuse entre mythomanie et affaires d’attentat à la pudeur satanique, tout en nous décrivant un petit peuple pris à partie de part et d’autre, avec des sermons intimant chacun chacune à activement participer à la dénonciation de l’hérésie et à la recherche active de toutes infiltrations (forcément) sournoises du malin chez son voisin, sa belle-sœur, son meunier, etc…

Dans cet édifiant roman, ces hommes d’Eglise intraitables nous sont décrits comme de « terribles et efficaces manœuvriers et, par certains côtés d’extraordinaires politiques. D’étonnants connaisseurs, aussi, hélas, de la psychologie masculine et féminine ». On y lit, une fois de plus, qu’un faisceau de présomptions peut vite se transformer en dépositions circonstanciées au cours d’un procès cousu de témoignages manipulés et faux.
Sottises, vilenie et lâchetés de tous ordres ouvraient alors la porte des terribles prisons inquisitoriales au temps où le haut clergé décidait de tout, avait quasi droit de vie et de mort sur chaque quidam.
Brrrrrr !

J’ai apprécié cette fontaine obscure parce qu’elle raconte d’un temps qu’on a oublié à tort, un temps où la peur physique du Diable mettait en branle mascarades et bêtises humaines.
Et je me demande si ces temps sont si éloignés de nous que nous ne devrions plus en avoir peur ?

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