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Je danse, aussi de Jean-Claude MOURLEVAT et Anne-Laure BONDOUX – Juste lire, par Agnès

Je danse, aussi de Jean-Claude MOURLEVAT et Anne-Laure BONDOUX

Résumé éditeur

Un mail comme une bouteille à la mer. D’ordinaire, l’écrivain Pierre-Marie Sotto ne répond jamais aux courriers d’admirateurs. Mais cette Adeline Parmelan n’est pas une « lectrice comme les autres ». Quelque chose dans ses phrases, peut-être, et puis il y a cette épaisse et mystérieuse enveloppe qu’elle lui a fait parvenir – et qu’il n’ose pas ouvrir. Entre le prix Goncourt et la jeune inconnue, une correspondance s’établit qui en dévoile autant qu’elle maquille, de leurs deux solitudes, de leur secret commun…

★★★★★ Que du bonheur !

Critique

« Votre douleur est ce par quoi se brise la coquille de votre entendement. Et comme il faut que le noyau du fruit se rompe pour que le cœur du fruit s’offre au soleil, ainsi vous faut-il connaître la douleur. »

Cette citation de Khalil Gibran résume bien le fond de ce roman, et avec elle la bonne surprise que j’ai eue avec cette lecture que j’avais cataloguée « légère » !

Pourtant, ce texte rédigé sous forme d’échanges épistolaires entre une menteuse qui écrit très bien et un ancien prix Goncourt esseulé m’a tenue en haleine pendant des heures. Voici un livre qui repousse l’heure de couper la lumière. Ces livres-là sont rares.

« C’est votre douceur qui me donne du vague à l’âme  » écrit Adeline à Pierre-Marie et c’est ce qui transparait entre les lignes de ces mails échangés. Il faut reconnaître que le principe protège des aléas habituels dans tout échange : échanges dématérialisés, aucun risque d’être vu(e), on peut se cacher derrière les mots, on se sent davantage à l’aise avec ceux qui sont loin, et puis – comme toujours – plaisir de se savoir moins seul(e), impatience de l’Autre, parce qu’il faut bien le reconnaître « la vraie vie est foutraque ».

« Cet échange n’est comparable à rien d’autre que j’aurais déjà expérimenté » dit l’un des protagonistes, et j’ai cru à fond à cette amitié virtuelle qui fait du bien aux deux parties, et encore plus à nous lecteur/trice.
Et je l’ai notamment crue grâce « au grain » : Adeline écrit « ce qui me séduit plus que les histoires, c’est ce qui les habille, leur texture, le tissu dont elles sont tissées, le grain comme on dit en photographie. »
Oui c’est le grain qui porte dans Et je danse, aussi ! Il émane de ce texte un « je ne sais quoi formidable malin et tendre à la fois.»
Ces emails (idée pourtant intéressante pour moi au départ) sont bien plus que des emails ; ils sont emplis à la fois de fraîcheur et de réflexion, de joie de vivre et de détresse, du contact de l’autre et du vide du quotidien, et plus encore. (Aucun point de suspension dans cette critique. Ceux qui ont lu Et je danse, aussi ! comprendront pourquoi).

Les douleurs se partagent-t-elles vraiment ? Comment leur faire perdre leur pouvoir de nuisance ?
Pierre-Marie et Adeline ont creusé la terre de leurs jardins pour en faire remonter les choses enfouies. Leur bonne entente (pourtant pas gagnée d’avance) qui se tisse au fur et à mesure de l’exhumation des douleurs est capable de tout absorber.
« Si ce chagrin n’est pas soluble dans l’écriture, dans quoi pourriez-vous le diluer ? » demande Adeline.

Cette histoire de deux solitudes, véritables échanges non dénués d’humour et d’une sagacité intellectuelle qui m’a ravie, est aussi ponctuée de pointes de folie qui transportent tout sur leur passage « depuis nos cachettes respectives – la vôtre pue la raclette, la mienne sent le champignon moisi -, nous nous offrons un espace de liberté totale, c’est magnifique ! pour l’instant, je n’ai besoin de rien d’autre… »

« Je suis peut-être naïve, mais il me semble que l’écriture réclame une certaine humilité et que les écrivains sont toujours amenés à avouer leurs faiblesses, leurs failles, leurs faiblesses. La matière première de l’écriture doit venir de là, non ? De ces trous de l’âme d’où s’écoulent nos souffrances. »

Tout en parlant de solitude, de pavés dans la mare, c’est aussi la création littéraire qui est évoquée même si « lorsque j’écris un roman, je m’efforce d’y mettre de la cohérence, de la structure. Ici, au contraire, je peux me promener selon mon humeur et la vôtre, je peux récupérer mes poussins en route et les récupérer la fois suivante, ou pas. Je ressens une liberté grisante. Ça part dans tous les sens et cette accélération, ce désordre me plaisent. » (Pierre-Marie).

Avec cette inconnue qui se révèlera bien différente de ce qu’il pensait au départ, l’auteur à l’écriture en berne apprécie la parcimonie avec laquelle son interlocutrice lui donne à voir qui elle est. Sorte de jeu entre souris, ou entre chats, car ici pas de chat et une souris, seulement des êtres blessés en attente d’une information capitale qui ne vient pas.

CE MYSTERE nous tient en haleine dans Et je danse, aussi  Il faut le reconnaître. J’ai été happée, piégée totalement par les emails de Pierre-Marie et d’Adeline, plus quelques autres protagonistes pas piqués des vers.

Dans ce roman écrit à deux mains, on y lit tellement de choses, la peine, l’humour, la foi en la vie, l’amour de la lecture, la revanche, et de nombreux phares posés ça et là pour éclairer les lecteurs un peu perdus que nous sommes (souvent). La délicatesse des échanges parfaitement maîtrisée par nos deux auteurs-jeunesse remplit nos yeux et nos cœurs de lecteur/trice.

« La magie entre nous, ce sont ces mots sur l’écran, non ? Il ne faut pas la dérégler. Notre rencontre virtuelle aurait-elle un sens ? » (Pierre-Marie)
Surement, car « Il n’y a pas des hasards, il y a des occasions. » (Adeline)

Nous, les lecteurs avons besoin d’auteurs comme ça. Et qu’ils viennent de l’univers de la jeunesse ne me surprend pas. Il ne faut pas trop grandir sinon la vie et ses aléas risquent fort de nous ensevelir. Gardons aussi un peu la folie et la spontanéité des enfants pour survivre en cas de vents violents pour dire « Et je danse, aussi ».

 

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