Résumé éditeur :
La philosophie politique et la psychanalyse ont en partage un problème essentiel à la vie des hommes et des sociétés, ce mécontentement sourd qui gangrène leur existence.
Certes, l’objet de l’analyse reste la quête des origines, la compréhension de l’être intime, de ses manquements, de ses troubles et de ses désirs. Seulement il existe ce moment où savoir ne suffit pas à guérir, à calmer, à apaiser.
Pour cela, il faut dépasser la peine, la colère, le deuil, le renoncement et, de façon plus exemplaire, le ressentiment, cette amertume qui peut avoir notre peau alors même que nous pourrions découvrir son goût subtil et libérateur.
L’aventure démocratique propose elle aussi la confrontation avec la rumination victimaire. La question du bon gouvernement peut s’effacer devant celle-ci : que faire, à quelque niveau que ce soit, institutionnel ou non, pour que cette entité démocratique sache endiguer la pulsion ressentimiste, la seule à pouvoir menacer sa durabilité? Nous voilà, individus et État de droit, devant un même défi : diagnostiquer le ressentiment, sa force sombre, et résister à la tentation d’en faire le moteur des histoires individuelles et collectives.
★★★★☆ Lecture agréable, fort plaisante.
Avis :
« Ci-gît l’amer… » de Cynthia FLEURY est le texte le plus alambiqué qu’il m’ait été donné de lire en entier sans faiblir.
La raison ? Un sujet original (le ressentiment) avec un traitement (psy, philosophie politique) résolument passionnant mais traité de manière plutôt particulière.
Il m’en aura fallu du temps pour en découvrir le contenu. Quinze pages par jour de lecture avaient fini par être le contrat passé entre la raison – ma volonté – et la passion – mon envie de lire des choses légères et d’abandonner cette langue surgie d’une autre planète. Une fois le deal passé, l’aventure fut plus supportable. Elle se mena, comme j’en ai l’habitude, avec un crayon en main, mais cette fois-ci il allait virevolter.
Cette psychanalyste philosophe française, très présente dans les médias, a une manière d’écrire compliquée à l’excès, mais je ne crois pas qu’elle le fasse exprès. En fait, elle parle comme une érudite qui ne sait pas que 99,9 % de son public n’est pas agrégé de philosophie : elle a posé un prisme langagier sur sa bouche, ou précisément, dans l’affaire qui nous intéresse, sur son stylo, ou clavier…
Il y a tant de ruminations autour de moi qu’il me fallait pourtant absolument parcourir ce voyage intellectuel éclairant.
Mais que nous raconte-t-elle ? Heu… pardon… quels présupposés pose-t-elle ?
L’ouvrage s’organise autour du titre : «Ci-gît l’amer » en « Ci-gît la mer » puis « Ci-gît la mère ». Je ne me suis pas laissée impressionner par cette perche subtile placée au-dessus des nuages, j’ai plané avec elle, et j’ai aimé ça. Je laisse aux courageux/seuses le plaisir de découvrir le fil conducteur entre « l’amer » « la mer » et « la mère ».
De la plainte chronique à la faculté de jugement dénaturée, de la perte du discernement à la capacité dépréciative, de la focalisation sur l’objet de rancœur jusqu’au plaisir sur la psyché que toute cette haine procure à la personne ressentimiste, des pathologies narcissiques au sein des démocraties, jusqu’à la grande dépréciation universelle en cours (merci les réseaux sociaux et les médias), sans oublier un détour par le nazisme, le colonialisme et le repli communautaire (« la solidarité entre pairs rancuniers et victimisés ») … voici les principales pierres à l’édifice d’explication puis de déconstruction que traite la philosophe.
Sachez déjà que le ressentiment « reste un rempart devant la dépression » pour celui qui le pratique, que « le ressentiment maintient en forme », et vous aurez déjà fait un grand pas dans la compréhension de ce fléau.
Point de surprise, la solution est éducationnelle, mais elle se joue également au niveau « du gouvernement de soi-même » (Foucault). Oui, il y a beaucoup de psychanalyse dans ce texte, mais ça tient la route et Cynthia Fleury sait de quoi elle parle.
Pour se faire, elle cite énormément d’autres auteurs, reprend d’autres positions, voguant d’un théoricien vers un autre, donnant son avis à chaque fois, poursuivant la réflexion la plupart du temps. Sa culture est immense, et j’ai apprécié cette initiation à la philo et à la psychiatrie que j’ai considérée comme une sacrée expédition au pays des penseurs. Contrairement aux sujets atteints de ressentiment, j’aime la compagnie des intellectuels.
Enfin, même si « le ressentiment est un défi pour chaque âme cherchant à s’affirmer comme vertueuse », C.F. donne de nombreuses pistes : la faculté d’oubli (on s’en serait un peu douté), la générosité, l’admiration (pas pour un râleur), la fin de la soumission patriarcale (passage pertinent), prendre « le chemin de l’agir » (traduction : bouger de son canapé), apprendre à expérimenter, le pouvoir des arts (littérature,…), l’humour (pas le moqueur !), l’amour… Il y a aussi une place pour « une éducation à la séparation » (parent / enfant), pour comprendre enfin que « naître c’est manquer », et que râler c’est vouloir obtenir quelque chose coûte que coûte.
Seul regret – qui n’étonnera personne – que Madame FLEURY n’ait pas eu l’idée de rendre accessible syntaxiquement et lexicalement parlant son traité des personnalités aigries, victimaires, ruminantes (mais qu’on ne voit pas dans les près, hélas) et j’en passe.
D’abord, elle en vendrait plus, et SURTOUT ce serait (peut-être) l’occasion pour certains mortels de tenter leur chance dans une reconversion du type « avant j’étais un gros râleur, vivant dans la victimisation perpétuelle et ami avec les mêmes que moi – maintenant j’ai compris que le monde est amer, qu’il faut que je quitte psychiquement un tas de personnes néfastes pour moi et un idéal inaccessible, et que j’essaye d’en profiter un max avant de mourir sans me dédouaner de mes responsabilités ».
En gros, c’est du développement personnel mais à la sauce Cynthia FLEURY !
C’était dur, mais au final… la somme de la réflexion proposée dans ce livre se révèle absolument indispensable.
Merci beaucoup pour ce retour vraiment très intéressant.
Auteur/autrice
Merci à vous d’avoir pris le temps de le lire.
Si vous faites le choix de vous lancer dans cette lecture (particulière), j’aimerais connaître votre ressenti. Savoir si, comme moi, vous avez, malgré le style, appris énormément de choses sur la question du ressentiment. Bonne journée, Agnès
C’était pour moi une tâche ardue, j’ai dû relire beaucoup de passages deux à trois fois avant de pouvoir résumer peut-être par une phrase ou deux. Mais je n’ai pas voulu « lâcher » ce livre, l’écriture en est hors norme, le cheminement brillant, quelle culture!
Je suis contente d’être sur le point de le terminer, entreprise courageuse, mais, quand même… Chapeau à Madame Fleury. Respect.
Francine
Auteur/autrice
Comme vous, j’ai souffert à cette lecture (lire les érudits n’est pas pas facile), mais quel bonheur au final tant son livre est LUMINEUX, INTELLIGENT, etc…
Merci beaucoup pour votre témoignage ! Et bravo pour votre persévérance…