où on va, papa ? de jean-louis fournier

Quatrième de couverture:

« Cher Mathieu, cher Thomas,
Quand vous étiez petits, j’ai eu quelquefois la tentation, à Noël, de vous offrir un livre, un Tintin par exemple. On aurait pu en parler ensemble après. Je connais bien Tintin, je les ai lus tous plusieurs fois.
Je ne l’ai jamais fait. Ce n’était pas la peine, vous ne saviez pas lire. Vous ne saurez jamais lire. Jusqu’à la fin, vos cadeaux de Noël seront des cubes ou des petites voitures… « 
Jusqu’à ce jour, je n’ai jamais parlé de mes deux garçons. Pourquoi? J’avais honte? Peur qu’on me plaigne?
Tout cela un peu mélangé. Je crois, surtout, que c’était pour échapper à la question terrible: « Qu’est-ce qu’ils font? »
Aujourd’hui que le temps presse, que la fin du monde est proche et que je suis de plus en plus biodégradable, j’ai décidé de leur écrire un livre.
Pour qu’on ne les oublie pas, qu’il ne reste pas d’eux seulement une photo sur une carte d’invalidité. Peut-être pour dire mes remords. Je n’ai pas été un très bon père. Souvent, je ne les supportais pas. Avec eux, il fallait une patience d’ange, et je ne suis pas un ange.
Quand on parle des enfants handicapés, on prend un air de circonstance, comme quand on parle d’une catastrophe. Pour une fois, je voudrais essayer de parler d’eux avec le sourire. Ils m’ont fait rire avec leurs bêtises, et pas toujours involontairement.
Grâce à eux, j’ai eu des avantages sur les parents d’enfants normaux. Je n’ai pas eu de soucis avec leurs études ni leur orientation professionnelle. Nous n’avons pas eu à hésiter entre filière scientifique et filière littéraire. Pas eu à nous inquiéter de savoir ce qu’ils feraient plus tard, on a su rapidement ce que ce serait: rien.
Et surtout, pendant de nombreuses années, j’ai bénéficié d’une vignette automobile gratuite. Grâce à eux, j’ai pu rouler dans des grosses voitures américaines.
Jean-Louis Fournier
★★★★★ Que du bonheur !

Avis :

« Où on va, papa ? » a reçu le prix Femina et le prix d’humour de Résistance.

Pour ce titre, J.L. Fournier a repris la courte mais usante question sans cesse repérée par un de ses deux fils handicapés, quand il monte en voiture avec lui :  » Où on va papa ?  » .

Thomas et Mathieu ont souffert ou (l’un est décédé) souffre de la même anomalie génétique engendrant une déficience mentale et une fragilité du squelette.

Cette déclaration d’amour d’un père lucide, mais très direct avec ses lecteurs, est malgré tout drôle et profondément touchante. Sur un sujet dramatique et personnellement vécu, il parvient à nous faire sourire et même rire. Le tout sans culpabilité. C’est dire combien JLF use à gogo d’humour et de lâcher prise pour se mettre à distance de cette double paternité douloureuse et inattendue.

Cet « écrivain rigolo », comme il aime se qualifier parfois, était l’ami de Pierre Desproges, et cela se ressent souvent. «  Matthieu n’a pas beaucoup de distractions. Il regarde pas la télévision, il n’a pas eu besoin d’elle pour être handicapé mental. » ou encore « Il est plutôt tendance abstrait. Il n’a pas eu son époque figurative, il est passé directement à l’abstrait. » Du Desproges tout cru, mais en mode réel.

Attention, rire de ça quand on a deux enfants handicapés n’est pas socialement correct. Et on est d’accord avec JLS, car c’est bien lorsqu’on a des problèmes qu’il est utile de s’en soulager. Non aux comportements stéréotypés nous dit ce petit livre jubilatoire tellement hors norme ! Son programme  est le suivant : bannir le pathos, survivre, résister par le rire ( «  le rire super désinfectant * ») retrouver le moral en se moquant de ses malheurs, relever la tête tout simplement… il écrit encore à propos de ses enfants «Ils ne s’expriment pas en français, ils parlent le lutin. »

Au final, des courts chapitres qui ne sont que des cris d’amour et de poésie sur ceux qu’on dit différents. Mais où commence et où  finit la différence ?

*interview de JLF revue sur le handicap en 2008

 

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